Aujourd'hui une icône, Niki de Saint Phalle méritait bien une biographie vu sa vie romanesque à souhait, et triste, aussi. Elisabeth Reynaud sort chez l'Archipel ce livre digne d'un roman : Niki de Saint-Phalle, il faut faire saigner la peinture.
« J'ai décidé très tôt d'être une héroïne » : la jeune Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle (sa mère fera changer son prénom en Niki quelques années plus tard) naît à Neuilly-sur-Seine en 1930 dans une famille très privilégiée. Du côté du père, les Saint Phalle sont l'une des plus anciennes familles de la noblesse française, très fortunée. Une lignée de chevaliers précède Niki, qui elle-même se considérera comme une vraie guerrière à l'armure bien épaisse. Elle affichera cependant une certain mépris pour cet héritage prestigieux (et le nom Phalle évoquant immanquablement le phallus et la domination masculine), et passera sa vie à combattre une éducation ultra-rigide : « Dans ma famille, ils sont si fiers de descendre des croisés !, déclare la rebelle. Il n'y a pourtant pas de quoi en faire un foin ».
À la fois française et américaine (son grand-père maternel se nomme Harper), elle part rejoindre ses parents à New York à l'âge de trois ans, alors que la famille subit de plein fouet la crise de 1929. La petite Niki grandit dans les quartiers huppés de l'Upper East Side (pour l'anecdote, sa gouvernante française s'appelle Nana). Toujours elle aura la sensation de ne pas avoir été la bienvenue : son père est peu présent, sa mère est très dure. Un climat d'extrême violence règne : madame de Saint Phalle frappe ses enfants au visage avec une brosse à cheveux, et exerce sur eux un contrôle absolu. Une enfance d'autant plus difficile que les parents prêchent une morale qu'ils transgressent (le père André est un mari infidèle, la mère une véritable tortionnaire), et qui laissera de sérieuses marques sur leur vie d'adulte : deux des frères et sœurs de Niki se suicideront, elle, l'aînée, connaîtra de sérieux problèmes psychiatriques.
Point d'orgue de ce passé traumatique, l'épisode, sur lequel Niki reviendra à plusieurs reprises, lors duquel son père abuse d'elle, à l'âge de onze ans. Un viol qu'elle refoule immédiatement dans sa conscience, jusqu'à une violente crise de folie à l'âge de vingt-trois ans, alors que mariée et déjà mère, elle doit être internée. Réussissant miraculeusement à s'en sortir, elle décide de faire de sa vie une épopée, détruisant cet héritage de pseudo-chevaliers pour bâtir une histoire de femmes : « Je voulais le monde, écrira-t-elle, et à cette époque, il appartenait aux hommes ».
Un livre à lire chez l'Archipel.